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Égoïsme, Égocentrisme : "défauts" indispensables ?

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À la simple lecture des mots égoïsme et égocentrisme, une coloration négative s’impose. Ces termes, dans la langue française comme dans beaucoup d’autres, fonctionnent comme des reproches implicites. L’« égocentrique » serait celui qui se prend pour le centre du monde. L’« égoïste », celui qui ne pense qu’à lui aux dépens d’autrui.

Cette vision morale, très binaire, occulte un fait plus fondamental : ces deux notions décrivent d’abord la manière naturelle dont le cerveau humain fonctionne et interagit avec son environnement.

En les observant à travers la psychologie cognitive, les neurosciences et l’analyse du comportement, ces mots changent de relief.


  1. L’égocentrisme : une structure inévitable du cerveau humain

Selon le dictionnaire, l’égocentrisme désigne la tendance à « tout ramener à soi ».Or, lorsque l’on sort de la définition morale et que l’on regarde la mécanique du cerveau humain, cette tendance n’est pas un choix : c’est une impossibilité biologique d’y échapper.


Le seul cerveau disponible pour analyser le monde, c’est le vôtre

Chaque perception, chaque phrase entendue, chaque détail observé doit passer par votre mémoire, vos croyances, vos expériences. C’est un mécanisme documenté:


  • Le cerveau utilise des représentations internes : schémas cognitifs, souvenirs, expériences passées.

  • Il n’a aucun accès direct aux émotions, aux sensations ou aux souvenirs d’autrui. L’empathie, ce n’est jamais ressentir réellement ce que l’autre ressent : c’est seulement une inférence, une estimation interne construite à partir de nos propres expériences, de nos connaissances et de nos représentations.

  • La compréhension passe toujours par un encodage égocentré, un principe observé depuis les travaux de Piaget jusqu’aux études modernes en neurosciences sociales.


C’est la seule manière de comprendre quoi que ce soit. Votre cerveau doit comparer ce qu’on vous dit à ce qu’il connaît déjà. Pas par narcissisme mais par nécessité.


On ne peut pas être curieux de ce qu’on ignore totalement

La curiosité n’est pas une ouverture infinie au hasard : elle repose sur une structure mentale préexistante. Il faut avoir un début de représentation pour qu’un sujet nous intéresse.

C’est le même principe avec la compréhension.

Si j’invente un mot, le glibolouk, vous ne pouvez pas le juger. Aucune mémoire ne s’y accroche. Le système cognitif tente peut-être une analyse sonore ou étymologique, mais sans ancrage mnésique, il ne peut produire ni jugement, ni émotion, ni opinion.

Ce point est central: là où il n’y a aucun souvenir, il n’y a aucun jugement possible.

D’où cette vérité dérangeante :nous ne pouvons comprendre qu’en ramenant ce qu’on nous dit… à nous-mêmes.


Il ne faut pas juger » : une injonction psychologiquement impossible

Le jugement n’est pas une faute morale : c’est un processus de tri, un classement automatique, indispensable pour donner du sens.

Sans jugement, aucune phrase ne pourrait être comprise. Comprendre « il fait froid » nécessite de juger ce qui est froid selon votre expérience. Comprendre « il m’a trahi » nécessite de juger ce que « trahir » signifie dans votre histoire.

Le vrai enjeu n’est donc pas le jugement lui-même, mais :


  • le statut qu’on lui donne (provisoire ? définitif ? nuancé ?)

  • l’usage qu’on en fait (écouter ? conseiller ? condamner ? réfléchir ?)

  • l’espace qu’on laisse à l’autre malgré ce jugement automatique.


On ne peut pas ne pas juger. Mais on peut choisir ce qu’on fait du jugement. C'est finalement plus le compte-rendu qui compte que le jugement lui même.


La personne que chacun connaît le mieux, c’est soi-même

Ce n’est pas une vérité parfaite, chacun a ses angles morts psychologiques et ses biais, mais un fait fonctionnel: votre mémoire autobiographique est la plus riche, la plus accessible, la plus détaillée.

Elle sert donc naturellement de base pour comprendre le monde.

L’égocentrisme n’est pas un défaut. C’est une architecture cognitive universelle.



  1. L’égoïsme : un moteur comportemental omniprésent, souvent mal compris

Le dictionnaire présente l’égoïsme comme le fait de « privilégier systématiquement son intérêt propre ».

Le mot, dans le langage courant, porte une charge morale si lourde qu’il devient presque une accusation. Pourtant, dès qu’on quitte la morale pour se tourner vers la psychologie et les sciences cognitives, l’égoïsme cesse d’être un défaut au sens littéral du terme: il apparaît comme une structure de base du comportement humain.

Toute action, même la plus discrète, même la plus généreuse, répond à un besoin, parfois conscient, parfois enfoui, parfois minuscule. Ce besoin est personnel, mais il n’est pas forcément individualiste ou destructeur. Il est simplement humain.


La séance d’hypnose : un double égoïsme parfaitement sain

L’exemple du cabinet d’hypnose montre très bien à quel point l’égoïsme est une mécanique naturelle plutôt qu’une faute morale. Lorsque quelqu’un pousse la porte du cabinet, il le fait pour une raison profondément centrée sur lui : alléger une souffrance, changer un comportement, comprendre quelque chose de lui-même, trouver une forme de paix ou de progression. Il ne vient pas pour connaître la vie du praticien, ni pour lui faire plaisir ; il vient pour répondre à son propre besoin. Cet égoïsme là n’a rien de choquant : il est la raison même de la séance.

Le praticien, lui aussi, agit pour lui. S’il reçoit cette personne, c’est parce que ce travail constitue son métier, son expertise, son quotidien. C’est ce qui lui permet de vivre, de s’inscrire socialement, de s’épanouir dans une pratique particulière. Si ces besoins n’existaient pas, le besoin de travailler, d’aider, de maîtriser une technique, d’en vivre, il ne serait pas dans cette pièce à ce moment-là.

Ce qui se joue dans cette rencontre n’est donc pas un égoïsme contre un autre, mais une convergence d’égoïsmes. Deux besoins différents, deux nécessités humaines complémentaires, créent un espace utile. Sans cet alignement, il n’y aurait ni thérapie, ni interaction, ni travail possible. C’est une forme d’égoïsme totalement neutre moralement, mais indispensable fonctionnellement.


Même les gestes les plus altruistes comportent un bénéfice interne

Lorsqu’une personne donne, aide, soutient ou écoute, elle accomplit souvent des actes admirables. Mais cela ne signifie pas qu’elle s’efface totalement. Ce type d’action répond aussi, inévitablement, à quelque chose d’intérieur.

Il peut s’agir du désir d’être cohérent avec ses valeurs, du besoin de se sentir utile, de la satisfaction de contribuer à un lien, de la fierté d’avoir fait la bonne chose, ou simplement de l’apaisement qui apparaît lorsqu’on soulage la souffrance de quelqu’un que l’on aime. Même la compassion possède une dimension interne : voir souffrir un proche crée un inconfort émotionnel, et l’aider réduit cette tension en soi autant que chez l’autre.

Ce constat n’enlève rien à la beauté de l’altruisme. Il montre seulement que l’altruisme et l’égoïsme ne sont pas des pôles opposés, mais des phénomènes qui se nourrissent l’un l’autre. On aide souvent parce qu’on y trouve un sens, une cohérence ou une émotion positive. Et ce mouvement intérieur ne diminue en rien la valeur du geste, il en est simplement le moteur.


Paradoxalement : être centré sur soi permet parfois de mieux respecter l’autre

L’une des idées les plus contre-intuitives, mais aussi l’une des plus précieuses, est celle-ci: en étant solidement « chez soi », on évite d’envahir l’espace de l’autre. Lorsque quelqu’un parle sincèrement de lui, de ce qu’il vit, de ce qu’il ressent, de ce qu’il comprend ou ne comprend pas, il occupe clairement sa propre place dans l’échange. Et en occupant sa place, il laisse naturellement la place à l’autre. Un dialogue se construit alors comme deux territoires distincts qui se rencontrent sans se confondre.

À l’inverse, lorsqu’on tente de deviner ce que l’autre pense, d’interpréter ce qu’il ressent, d’anticiper ses intentions ou de décider mentalement de ce qui devrait l’habiter, on entre dans son espace psychique. On parle à sa place, à l’intérieur de lui, sans lui laisser l’opportunité d’exister dans l’échange. Cela se produit souvent avec de bonnes intentions: “je voulais comprendre”, “je me suis mis à sa place”. Mais le résultat est paradoxalement contraire : l’autre n’a plus d’espace pour se dire.

La logique devient limpide : moins on essaie d’occuper l’espace intérieur de l’autre, plus cet espace s’ouvre réellement pour lui. Et comprendre quelqu’un ne passe pas par la projection, mais par l’écoute.


L’égoïsme "négatif" existe, mais il ne résume pas la réalité humaine

Il existe évidemment des comportements où l’intérêt personnel devient destructeur : manipuler, profiter, blesser volontairement, agir en sachant que l’autre en souffrira. Ce type d’égoïsme correspond à ce que l’on qualifie moralement de « mauvais égoïsme ». Mais il s’agit d’un cas particulier, d’un extrême, pas d’une description générale du fonctionnement humain.

La grande majorité des actes humains ne relève pas de la malveillance, mais simplement de la recherche de ce qui semble bon, nécessaire, logique ou apaisant à un instant donné. Les gens se lèvent le matin avec l’intention, explicite ou non, d’essayer de vivre leur journée du mieux qu’ils peuvent, pas avec la volonté de créer du tort.

L’égoïsme, dans ce sens, n’est pas un poison moral, mais un moteur. Un moteur imparfait, certes, mais universel.


Pour terminer

L’égocentrisme et l’égoïsme sont deux mots souvent chargés d’une morale qui ne correspond pas à la réalité humaine. Le premier décrit une architecture cognitive inévitable : nous ne pouvons percevoir le monde qu’à travers nos propres repères. Le second désigne un moteur comportemental universel : toute action répond à un besoin interne, même infime.

Aucun de ces deux mécanismes ne coupe de l’autre, ne rend sourd à la relation ou incapable d’aimer. Ils forment simplement le point de départ à partir duquel chacun peut exister, parler depuis soi, écouter réellement, comprendre sans envahir. Non pas des défauts à corriger systématiquement, mais des réalités à reconnaître pour que les échanges deviennent plus justes, plus simples et plus humains.





Michaël Servage

3 commentaires


zazou.s0711
il y a 2 jours

Waouh ! Quel éclairage !


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Lilulilu
Lilulilu
17 nov.

Et c'est quoi un Glibolouk alors ? Histoire qu'on puisse le juger !

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En réponse à

Quelque chose de rare. on le voit pas souvent c'est certain, mais quand il est là, on ne peut que dire "Ramnoc" tellement c'est intense. intéressant n'est ce pas ?

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