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Oui, vous avez toujours raison

Dernière mise à jour : il y a 5 jours

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Quand je commence une séance, il y a une phrase que je prononce depuis des années, et chaque fois, je vois la même surprise dans les yeux. « Les gens ont toujours raison de faire ce qu'ils font. »

Sur le moment, cette formulation choque, elle dérange, elle heurte l’idée que nous nous faisons souvent du bien et du mal. Comment accepter que quelqu’un qui a fait du mal ait « raison » ? Comment admettre que l’auteur d’un acte répréhensible ait, d’une certaine façon, une logique à l’origine de son geste ?

Il faut d’abord poser une précision essentielle, et je le dis systématiquement en séance : quand je parle de « raison », je ne parle ni de morale, ni de justification, ni d’exonération. Je parle d’explication, d’un enchaînement de causes et de conditions. Autrement dit, je parle d’un sens descriptif, pas d’un verdict moral. Dire qu’une action a une raison ou une logique, ce n’est pas dire qu’elle est bonne. C’est reconnaître qu’elle s’inscrit dans l’histoire, les limites et les ressources de la personne qui a agi.



Agir selon ce que l’on est

À chaque décision correspond un ensemble de facteurs : l’éducation, la culture, les croyances, les connaissances, l’état physiologique du moment, la fatigue, une émotion forte, des habitudes anciennes, des contraintes sociales. Ces éléments façonnent la manière dont un individu évalue une situation et choisit une réponse. Ce n’est pas une justification, c’est une cartographie. Dire « vous avez raison d’agir comme vous l’avez fait » dans ce sens, c’est reconnaître que, à cet instant là, la personne a répondu selon ce qu’elle était et savait. Personne ne se lève le matin en souhaitant échouer, sauf si échouer est devenu l’objectif. Si, en jouant aux échecs avec un enfant, je décide de perdre pour lui permettre de gagner, ma défaite n’est plus un échec moral, c’est un choix volontaire et cohérent.



La causalité et la subjectivité

La notion de cause renvoie à une idée ancienne et utile : les événements ne tombent pas du ciel. En sciences, on parle de causalité pour décrire des relations entre phénomènes, en physique, en biologie, en psychologie etc...

Et comprendre ces relations aide à agir utilement. Ici, il est important de distinguer causalité scientifique et explication subjective. Il ne s’agit pas d’un déterminisme absolu ni d’un destin immuable, mais d’une manière de relier actions et antécédents, à la fois biologique, social et psychique.

La psychologie et les neurosciences nous montrent que nos choix émergent d’un réseau complexe : des circuits émotionnels, des souvenirs, des automatismes acquis par répétition, des évaluations cognitives. L’hypothèse la plus robuste est que nous agissons « au mieux » avec le bagage dont nous disposons à l’instant T. Ce « mieux » n’est pas toujours adapté, et c’est précisément là que la démarche thérapeutique intervient : reconnaître la logique d’un comportement sans l’adopter, et travailler à ouvrir d’autres possibilités.



Émotion, habitude, plasticité

Les émotions ne surgissent pas sans raison. Elles sont des réponses biologiques et adaptatives, des réactions du système nerveux à un signal perçu comme important. Le principe d’homéostasie illustre bien cette idée : l’organisme cherche en permanence à maintenir un équilibre intérieur face aux variations externes. De la même manière, le cerveau régule nos états émotionnels et comportementaux, et parfois ces régulations deviennent des habitudes. La répétition entraîne des changements durables dans les connexions neuronales, c’est le principe bien connu de la plasticité, résumée souvent par « ce qui s’active ensemble se renforce ensemble ». Ainsi, un schéma de réaction répété des dizaines, des centaines de fois, finit par se mettre en place automatiquement, même si la cause initiale n’est plus présente.

Cela explique pourquoi on peut garder une « mauvaise habitude » longtemps après que la situation d’origine a disparu. Comprendre cette mécanique ne légitime pas le comportement nuisible, mais elle permet d’y porter un regard moins accusateur et plus opérant : si un schéma est appris, il peut être retraité, modifié, remplacé.



Sur les souffrances extrêmes

Même dans les situations tragiques, y compris dans des actes incompréhensibles, il y a une chaîne de facteurs qui mène à l’action. Cela vaut aussi pour le suicide, un sujet dont il faut parler avec prudence et humanité. Les personnes qui en arrivent là ne cherchent pas la destruction gratuite, elles cherchent souvent à échapper à une souffrance intolérable, à rendre finale une douleur qui ne l’est plus autrement. Ces personnes répondent à des logiques qui leur semblent, à ce moment-là, cohérentes. Ce constat n’excuse rien, il alerte et invite à l’aide. Si vous ou quelqu’un que vous connaissez êtes en danger, il faut contacter immédiatement des services d’urgence ou un professionnel de santé.


Il existe aussi une logique derrière les idées noires ou certaines pensées morbides que l’on peut traverser. Non pas parce qu’elles seraient souhaitables, mais parce qu’elles remplissent parfois une fonction psychique. Elles peuvent agir comme un signal extrême, une manière pour l’esprit de rappeler ce qui ne va plus, ce qui est devenu intenable, ou ce qui compte réellement. En mettant en contraste la perte, la fin ou l’absence, elles peuvent paradoxalement aider à clarifier des objectifs, des valeurs, ou une direction à retrouver. De la même façon qu’un désaccord extérieur peut soit nous faire évoluer, soit renforcer et structurer notre position, ces pensées confrontantes obligent parfois à un réajustement intérieur. Même lorsqu’elles sont dérangeantes ou difficiles à entendre, elles ont toujours, pour la personne qui les vit, une raison d’exister à ce moment précis de son histoire.



Comprendre n’est pas pardonner

Dire que quelqu’un « a raison » dans le sens d’avoir une explication, ce n’est pas abolir la responsabilité, ni effacer la nécessité de limites et de règles. Les lois, la morale sociale, les frontières personnelles sont indispensables. Comprendre les raisons d’un acte permet, au contraire, d’intervenir de façon plus efficace : protection, réparation, prévention, soins, accompagnement. Sans compréhension, la réaction risque d’être punitive ou réactive, rarement constructive. Se battre contre soi-même termine inévitablement par une défaite personnelle en cas de victoire.



Un appel à la douceur et à la responsabilité

Reconnaître que chacun agit selon ses raisons, conscientes ou non, est une invitation à la douceur envers soi comme envers les autres. Ce n’est pas une permission à tout tolérer. C’est un outil pour orienter nos réponses : observer, nommer, poser des limites, poser des questions, proposer de l’aide quand il y a souffrance, et engager des changements lorsque c’est nécessaire.

En thérapie, cette posture permet de partir du réel de la personne, d’identifier les logiques à l’œuvre, et d’offrir des voies de transformation concrètes. Cela ne nie pas la morale, cela la rend plus utile. Comprendre la logique, c’est rendre possibles des choix nouveaux.



Alors, finalement, Avons nous raison de penser tout ça ?

« Vous avez toujours raison » est une idée pour sortir de l’anathème et entrer dans une compréhension moins simpliste qu'une morale subjective. C’est un point de départ qui ouvre l’espace du soin, de la réparation et du changement. Cela n’enlève rien à la nécessité de dire non, d’agir pour protéger, de tenir des limites. Mais cela change la façon dont on regarde la personne devant nous : non comme un monstre inexplicable, mais comme un être humain agissant à partir d’un monde intérieur, de contraintes, de peurs et de ressources. Et c’est précisément à partir de cette carte là que l’on peut, ensemble, inventer autre chose.





Michaël Servage

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