Lire dans les pensées... ou projeter les vôtres ?
- Michaël SERVAGE

- il y a 2 jours
- 4 min de lecture

Attention à la lecture de pensée
Combien de fois avons-nous eu la sensation qu’il valait mieux taire quelque chose pour que la personne en face de nous agisse, ou n’agisse pas, en fonction de ce qu’on avait perçu ? Combien de fois n’avons-nous pas dit quelque chose… et la communication s’est enrayée à partir de là ?
La lecture de pensée est omniprésente dans notre comportement, et pourtant… elle n’existe pas.
Télépathie, intuition et illusion de savoir
La télépathie, malgré des décennies d’expérimentations de "J. B. Rhine à Princeton, jusqu’aux méta-analyses des années 2010" n’a jamais été prouvée scientifiquement. Les corrélations observées sont statistiquement aléatoires. Notre cerveau adore pourtant voir du sens là où il n’y en a pas : c’est ce qu’on appelle le biais de perception de sens (patternicity, selon Michael Shermer).
Et pourtant, nous avons tous cette impression de “deviner” les autres. Ou même qu’ils devraient nous deviner.
Combien de fois, dans les couples, a-t-on entendu :
“Tu devrais le savoir, quand même, depuis le temps…”“J’aimerais que ça vienne de toi.”
Ce sont des formes de lecture de pensée implicite. Nous croyons que l’autre “devrait” savoir sans qu’on ait besoin de le dire.
Des capteurs humains : la synergologie et ses limites
Nous sommes équipés pour décoder les émotions. Nos ancêtres ont survécu grâce à cette capacité à repérer la colère, la peur ou la tristesse dans le visage d’autrui depuis l'aube de notre espèce (et même probablement avant). Des disciplines comme la synergologie, entre autres, ont d’ailleurs tenté de classifier les micro-expressions et les postures pour en extraire des régularités.
Mais attention : si notre cerveau est un excellent détecteur d’émotions, il est un mauvais interprète de leurs causes. L’émotion, c’est ce qu’on voit. Son origine, c’est ce qu’on invente. L'empathie, ce n'est jamais vraiment ressentir l’autre : C'est ressentir ce qu’on imagine qu’il ressent.
L’exemple du couple et le piège de l’interprétation
Si mon conjoint rentre à la maison et que je le vois triste, j’ai sans doute raison de penser qu’il est triste. Mais je n’ai aucune idée de pourquoi. Je peux supposer, imaginer, interpréter… mais je ne sais pas.
Peut-être qu’il a eu une journée difficile. Peut-être qu’il pense à un souvenir lointain. Peut-être même que ce n’est pas de la tristesse, mais de la fatigue.
Et si je décide de ne pas lui parler à cause de cette émotion perçue, alors je modifie déjà ma propre communication. Je crée une interférence invisible. Et cette incohérence se voit, se sent : nos micro-expressions trahissent ce qu’on retient.
Ainsi, l’autre perçoit que “quelque chose ne va pas”, sans forcément savoir quoi. Et tout peut alors s’enrayer, dans une cascade de malentendus, comme un "téléphone arabe" émotionnel.
L’art simple de poser des questions
Beaucoup disent : “Oui, mais quand même, je ne vais pas lui demander ça, on n’a plus cinq ans.”
Pourtant, poser une question, ce n’est pas être naïf ou puéril. C’est clarifier le réel.
“Tu sembles triste, est-ce que ça va ?”“Est-ce que tu veux que je te parle maintenant ou plus tard ?”
Ce sont des questions simples, mais elles ouvrent la communication plutôt que de la fermer.
Langages émotionnels et incompréhensions sensorielles
Nous ne parlons pas tous la même langue sensorielle. Certains sont plus visuels, d’autres plus auditifs ou kinesthésiques. Et parfois, deux langages proches semblent se comprendre… mais ne se rencontrent pas.
Je peux dire “je t’aime” en prenant quelqu’un dans mes bras. Et l’autre, qui attend des mots, peut ressentir un manque. Chacun exprime l’amour à sa manière, mais le code n’est pas universel.
Le danger des “tu devrais” et la confusion des places
Plus on connaît quelqu’un, plus on croit savoir ce qu’il pense, ce qu'il est. Et plus on est vulnérable à nos propres biais cognitifs :
le biais de projection (je pense que l’autre raisonne comme moi),
le biais de confirmation (je ne vois que ce qui confirme ce que je crois),
et le biais de familiarité (je me fie à mes souvenirs plutôt qu’à ce qui est présent).
Le résultat : nos communications deviennent moins précises, plus interprétées, et souvent… moins sincères.
Juger, oui, mais avec conscience
Malgré les injonctions permanentes sur ce thème, nous ne pouvons pas ne pas juger. Juger, c’est évaluer, trier, interpréter. Le problème, ce n’est pas le jugement en soi, c’est le compte-rendu. C’est ce qu’on en fait.
Dire “je ressens qu’il est en colère” n’est pas la même chose que “il est en colère contre moi”. Dans le premier cas, je décris. Dans le second, j’interprète.
C’est cette bascule subtile qui fait toute la différence entre la lucidité et l’erreur de lecture.
L’espace juste entre soi et l’autre
Une bonne communication (si elle existe), c’est un équilibre entre deux subjectivités. Un espace clair, précis, où chacun parle depuis sa place. Je ne pense pas à la place de l’autre, je ne ressens pas à sa place, je n’interprète pas à sa place.
Je l’écoute. Et dans cet espace entre ce que je crois et ce que je vérifie, naît une forme de compréhension.
“Si tu as un problème que tu n’arrives pas à résoudre tout seul et que tu ne le partages pas, alors ça restera ton problème.”
Cette phrase résume bien l’enjeu : on ne peut pas lire dans les pensées, mais on peut apprendre à parler avec clarté, écouter avec attention et vivre avec moins de suppositions.
De toutes les façons, il est impossible de ne pas communiquer, quelques soit la forme de la communication, alors... prenons le temps d'y penser un instant, comme vous venez de le faire. Merci de votre lecture.
Michaël Servage




Que dire... si ce n'est que l'article est parfait !
Ah, séance nr.1 ...que de bons souvenirs 🫠
Merci pour cet article