Addict aux écrans ? Vraiment ?
- Michaël SERVAGE

- 24 oct.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 oct.

« Mathéo, pose un peu ton téléphone, ouvre un livre, ça te fera pas de mal ! » Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? Les écrans, les jeux vidéo, les dessins animés… tout y passe. Depuis des années, on diabolise ces rectangles lumineux comme s’ils étaient la cause de tous nos maux modernes. Et pourtant, la réalité est plus complexe.
Le cerveau et la lumière des pixels
Les neurosciences le confirment : dans la toute petite enfance (0 à 3 ans), le cerveau se construit avant tout à travers l’interaction humaine directe. Le regard, la voix, le toucher, les mimiques parentales sont des nourritures essentielles au développement émotionnel et cognitif. Les études (notamment celles de l’INSERM et de l’Académie américaine de pédiatrie) montrent que l’exposition précoce et prolongée aux écrans peut retarder le développement du langage et altérer la capacité attentionnelle. À cet âge, les neurones se connectent par l’expérience sensorielle. Et rien, absolument rien, ne remplace la chaleur d’un visage, la texture d’un jouet ou la voix d’un parent.
Mais ensuite ? Faut-il jeter la tablette, bannir les téléphones, couper la Wi-Fi ? La réponse est loin d'être évidente. Parce qu’aujourd’hui, le monde est fait d’écrans et de boutons. Ils sont dans les poches, dans les écoles, dans les hôpitaux, les avions, les voitures, jusque dans nos montres. Interdire l’écran reviendrait presque à interdire de vivre dans la société moderne.
L’écran n’est pas le problème, c’est notre rapport à lui
Nous sommes la première génération à avoir connu le monde avant les écrans omniprésents, puis avec. Nous vivons cette transition culturelle et cognitive. Et forcément, cela crée des frictions.
Un écran, après tout, n’est qu’un média. Un support, comme l'est le livre, la radio, la télévision. Personne n’a jamais accusé le papier d’être dangereux. Pourtant, il y a des livres qui désinforment, qui abrutissent, qui manipulent. Ce n’est pas le support qui crée le problème : c’est la manière dont on l’utilise.
Prenons un exemple ou les mots que l'on utilise change le rapport au sujet :
Quelqu’un qui regarde un film chaque jour est un cinéphile. Quelqu’un qui joue à un jeu vidéo ou scroll ses réseaux chaque jour souvent considéré comme un addict. Pourquoi ? Parce que le cinéma a eu le temps de s’ancrer culturellement. Il est désormais reconnu comme un art, un langage, une pratique sociale. Le jeu vidéo, lui, n’a pas encore eu ce temps historique d’intégration. Il est encore perçu, dans l’imaginaire collectif, comme une distraction, une perte de temps, voire un danger. Mais cette perception est sociétale, pas scientifique. Les recherches récentes en psychologie cognitive et en neurosciences montrent au contraire que le jeu vidéo peut développer des compétences attentionnelles, spatiales, stratégiques, voire collaboratives. Simplement, nous ne l’avons pas encore accepté comme un média mature, au même titre que le livre ou le cinéma. Et cette non-acceptation culturelle nourrit souvent la peur, les préjugés et le vocabulaire pathologique qui l’accompagne.
Et c’est là que tout se joue. Vous pouvez aller sur les réseaux sociaux et perdre quelques points de QI en vous noyant dans des vidéos absurdes et du contenu abrutissant. Mais vous pouvez aussi, sur ces mêmes plateformes, tomber sur des créateurs passionnés, des vulgarisateurs, des enseignants, des artistes. Tout dépend de ce que vous cherchez, et surtout de la conscience avec laquelle vous le faites. Même le contenu “bête”, celui qu’on regarde simplement pour “poser son cerveau sur ses genoux”, peut avoir son utilité, si c’est un choix conscient, une pause assumée. Le problème, c’est quand ce n’est plus vous qui choisissez. Quand ce n’est plus une détente, mais une fuite.
Addiction, vraiment ?
Le mot “addiction” est à manier avec précaution. Dans le cas des écrans, je préfère parler d'acclimatation comportementale, liée au circuit de la récompense/anticipation (dopamine, striatum, cortex préfrontal). Ce circuit, utile pour apprendre et s’adapter, devient problématique quand il est surstimulé par des boucles sans fin : les “likes”, les notifications, les scrolls infinis sur des contenus courts. Mais contrairement à une dépendance chimique (alcool, héroïne, etc.), l’arrêt d’un écran n’entraîne pas de sevrage physiologique. Le cerveau s’adapte. Il proteste parfois un peu, comme un enfant à qui on enlève un jouet, mais il retrouve vite son équilibre.
Autrement dit : ce n’est pas le pixel qui enferme, c’est l’usage que l’on en fait.
Entre outil et piège : une question d’éducation
L’éducation numérique n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Apprendre à un enfant (même à un adulte...) à gérer un écran, c’est comme lui apprendre à gérer la nourriture. Trop sucré, il s’abîme. Trop peu, il se frustre. Mais bien dosé, bien choisi, l’écran devient un outil d’ouverture incroyable.
Depuis votre smartphone, vous avez accès à plus de savoirs que n’importe quel roi du Moyen Âge n’aurait pu rêver posséder. Vous pouvez apprendre une langue, découvrir un métier, comprendre le cerveau humain, ou suivre une séance de relaxation hypnotique. Ce n’est pas la technologie qui crée la déconnexion intérieure, c’est l’absence de conscience dans l’usage.
L’écran en hypnose : un paradoxe révélateur
L’hypnose, elle aussi, repose sur l’écran. Un écran mental. Un espace d’imagination où l’esprit projette des images, des sons, des sensations. La différence, c’est que cet écran-là est interne. Quand on accompagne quelqu’un en hypnose, on ne cherche pas à supprimer le monde extérieur, mais à reprendre le contrôle de l’écran intérieur. C’est une rééducation de l’attention, une manière de redevenir acteur de son propre focus. Exactement l’inverse du scroll automatique.
On pourrait presque dire que l’hypnose est l’antidote à la dispersion numérique. Elle réapprend au cerveau à se poser, à filtrer, à choisir. Elle renoue avec ce que la surexposition aux écrans a tendance à éroder : la capacité à être présent à soi-même.
Le mot de la fin
Les écrans ne sont ni nos ennemis, ni nos sauveurs. Ils sont un miroir. Un miroir de notre rapport au monde, à la curiosité, à la solitude, à la reconnaissance. Et si nous apprenions simplement à mieux nous regarder à travers eux ?
La question n’est pas : “Faut-il couper les écrans ?” Mais plutôt :“Qui regarde qui, quand je regarde un écran ?”Est-ce que c’est moi qui choisis ce que je regarde, ou est-ce que c’est l’écran qui me regarde ?
Michaël Servage


Je me déculpabiliserai la prochaine fois que je regarderai un contenu "bête" 😁
Plus sérieusement, super intéressant et instructif, beaucoup d'éléments que j'ignorais et qui changent totalement la manière d'appréhender le sujet 👌🏻 merci !
🤣🤣 la conclusion m'a bien fait rire